La jeune femme est assise sur un petit meuble de bureau à rideau. Elle porte un pull beige, un jean et des baskets blanches. On dirait qu’elle fait une pause cigarette, mais sans fumer puisque nous sommes dans un open space. Je l’aperçois du coin de l’œil tandis que nous nous entretenons avec le conseiller de notre mutuelle d’assurance en face de qui nous sommes assis, ma femme et moi-même. Il est curieusement protégé par une paroi en plexiglas datant de la pandémie, mais ce détail mis à part, le contact est facile. Nous avions pris rendez-vous pour « faire un point », comme on dit en langage commercial. « Et plus si possibilité » comme on le sous-entend. L’échange prend d’ailleurs une tournure plus concrète lorsque le jeune homme nous propose une simulation. Alors qu’il nous en présente le résultat, sa collègue intervient en proposant une solution qui nous ferait réaliser une économie substantielle. Toujours assise sur son meuble, elle s’excuse auprès de notre vis-à-vis, ajoutant que désormais, elle se tairait. Ce qu’elle ne fait pas, ponctuant de compléments d’information les explications de notre interlocuteur. Lequel accueille avec calme et bienveillance ces interruptions de plus en plus fréquentes de celle qui finit par expliquer son rôle. C’est la chef. Et elle se livre à une évaluation en live. Notre sympathique évalué occupe son poste depuis un an et il est de tradition de procéder ainsi, ajoute-t-elle. Soit. Je plains in petto le garçon. Je me souviens que dans la somme de raisons pour lesquelles j’avais décidé de quitter la direction de mon journal, cette obligation d’évaluation – imposée par le groupe qui nous avait rachetés – n’était pas la moindre. La perspective d’interroger mes amis et néanmoins collègues selon une grille de questions ineptes et inadaptées pour les « remonter » à la DRH me semblait aussi déplaisante qu’absurde. Mais j’avoue que je n’avais pas pensé à mesurer l’efficacité des collaborateurs sans interrompre leur tâche. En me mettant dans leur dos. Je suis sûr qu’ils auraient apprécié. Comme devait le faire notre assureur junior qui, poussé dans ses derniers retranchements, nous a proposé toute la gamme de polices parmi lesquelles, une garantie contre les accidents de la vie. Belle formule pour qualifier l’ensemble des calamités qui peuvent vous tomber dessus sans vous tuer. Au point où on en était, j’allais demander s’il existait une assurance sur les coups du destin – ou du sort – lorsque la boss est intervenue une dernière fois pour poser la question qui tue, à moins qu’il ne s’agisse du coup de grâce : « Qu’avez-vous prévu en cas de décès ? L’inhumation ou la crémation ? » Ni l’une ni l’autre, chère Madame. Je n’ai aucune intention d’en arriver là. Soyez en assurée.

Written by
Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.