Souvenez-vous, je vous faisais par hier de mes penchants démiurgiques informatiques, créant et recréant sans fin mon ordinateur. Dire que j’ai un talent même infime pour cette activité serait très exagéré. Après tout il suffit d’acheter des composants et de les installer pour que cela marche. Exactement l’inverse de la botanique où, malgré mes efforts, j’échoue avec une remarquable constance à faire pousser durablement quoi que ce soit et la pelouse en particulier. Comme vous devez vous en douter à force de me lire, j’ai la chance d’avoir un jardin de taille tout à fait raisonnable. Voire un peu trop grande pour mon incompétence. Car alors que dans les premiers temps de notre installation en ces merveilleux lieux, au siècle dernier, les petits brins d’herbes poussaient en masse sans demander quoi que ce soit, voilà que depuis quelques années ce gazon s’étouffe grille et meurt. Que s’est-il passé ? Aucune idée. Ce n’est pas faute d’avoir enquêté. Le dérèglement climatique – j’ai appris récemment qu’il ne fallait pas dire réchauffement, expression qui trahit un scepticisme coupable — est évidemment le premier accusé. Mais ce phénomène est aussi patent chez mes voisins dont les plantations ne semblent pas souffrir autant que les miennes. Un jardinier à qui nous avions confié la tâche de regarnir ce terrain il y a des années fait également partie des suspects en ce qu’il avait utilisé un désherbant chimique aussi redoutable que condamnable. Mais là encore, sans rentrer dans les détails de l’enquête, les preuves manquent. Alors ? Le rationaliste que je suis écarte d’emblée la malédiction ou le sort jeté par quelque sorcière égarée une nuit d’Halloween. De guerre lasse, il ne me reste qu’une seule chose à faire, replanter pour la nième fois des petites graines. J’ai ouï dire un jour que les semences d’automne résistaient mieux que celle du printemps, aussi ai-je passé une partie de mon après-midi à « regarnir », comme il est indiqué sur l’emballage, autrement dit à combler les nombreux trous. Dire que je suis médiocrement confiant quant à la réussite de l’entreprise est un doux euphémisme. Oh, je suis quasi sûr qu’un tapis vert apparaîtra d’ici une quinzaine de jours. Puis quelques beaux brins sortiront, donnant l’espoir d’une victoire. Mais combien de temps vivront-ils avant de prendre une horrible teinte marron, de se rabougrir puis de crever, aspirant mon moral de jardinier vers les bas-fonds ? Si ce tapis herbeux survit plus longtemps qu’un gouvernement, je qualifierai cet essai de succès.

Written by
Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.