2 mai 2024
Parmi les plaisirs du métier de journaliste, celui de sortir un scoop est certainement le plus enthousiasmant. Oh bien sûr, ça n’arrive pas tous les jours et dans le secteur que j’ai couvert au cours de ma carrière, on ne peut pas dire que mes exclus aient bouleversé la planète, ni le pays. Ni même parfois le secteur en question. Mais peu importe, la sensation de victoire éphémère, l’inquiétude d’avoir été grillé par un confrère, le pincement quand le papier sort, tout ça fait le sel du métier. À l’inverse, se faire dépasser par les autres a toujours fait naître dans ma gorge, cette petite boule amère qui, par chance, ne reste pas trop longtemps et motive surtout pour la revanche. Prenez ça pour de l’immaturité ou quoi que ce soit du même ordre, mais c’est ce qui m’a fait avancer. Le strict contraire de ma vie de quidam ordinaire. Je suis généralement le dernier informé de l’évènement qui fait causer la planète. C’est ainsi qu’il y a 30 ans (et un jour), je n’ai exceptionnellement pas regardé le Grand Prix de Saint-Marin à Imola. J’ai oublié pourquoi mais je devais avoir pris mes précautions en programmant le magnétoscope (les plus jeunes lecteurs demanderont à leurs grands-parents la signification de cette phrase). Et c’est ainsi que j’ai appris la mort d’Ayrton Senna par un voisin, bien après le drame. Comme tout le monde à l’époque, je n’ai pu échapper à l’avalanche d’hommages plus ou moins sincères qui avait déferlé au lendemain de l’accident. Avalanche qui se poursuit aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Et c’est ainsi qu’au milieu de cette commémoration numérique quelque peu lassante, j’ai appris, après tout le monde naturellement, la mort de Paul Auster. Par nature, je ne suis fan de personne, ni de pilotes de Formule 1, ni de romanciers, mais j’ai lu et aimé une bonne partie de son œuvre. Cela étant dit, n’attendez pas de moi une critique littéraire, elle serait inepte. Mais il se trouve que j’ai acheté il y a quelques jours son dernier roman, Baumgartner. Et c’est un sentiment très troublant de commencer le livre d’un écrivain vivant et de terminer celui d’un mort. Un raccourci d’autant plus saisissant que le bouquin parle de la mémoire et de la disparition. Ça m’a donné un léger vertige philosophique. Ouh là ! Il ne faudrait pas que je m’emballe, je ne suis qu’un journaliste. Et, même sans scoop, ça suffit à mon bonheur.