Vous vous aimez, vous ? Pas moi. Non ! Ne partez pas ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je vous aime, mais je ne m’aime pas. Enfin pas tout le temps. En particulier quand ma distraction pour ne pas dire ma bêtise, se manifeste un peu trop fortement. Comme hier alors que je me préparais pour aller chercher mes nouveaux papiers. Trente ans après l’avoir perdue j’allais enfin avoir une Carte nationale d’identité. Quelle émotion ! Me connaissant, j’avais soigneusement rangé les récépissés de dépôt de la demande dans un endroit parfaitement identifié sur mon bureau. Soigneusement pliés et rangés dans l’ancien passeport. Ce, en souvenir des nombreuses fois où, ayant besoin d’un ticket de caisse pour un échange ou de la garantie d’une machine tombée en panne, je les avais égarés, nourrissant ma détestation de moi-même. Instruit de ces lamentables expériences et galvanisé par l’enjeu officiel, j’avais donc porté une attention toute particulière au stockage de ces documents. Et c’est ainsi qu’au moment de me préparer je suis allé les chercher à l’endroit idoine. Où ils n’étaient pas. Vous détailler le torrent de sentiments qui me traversa à cet instant m’est impossible tant les mots me manquent pour décrire cet état. Il me faudrait inventer des jurons qui me vaudraient sans doute condamnation s’ils étaient exprimés. La fureur fut cependant fugace car il me revint que j’avais déjà rangé ces sésames dans la poche de mon blouson, avant qu’un coup de fil impromptu ne me le fasse sortir de l’esprit. Ainsi, réconcilié avec mon fors intérieur, j’ai pu aller quérir sans autre désagrément les preuves irréfutables de mon identité. Par chance, ce genre de vague d’autodénigrement ne se forme pas trop souvent, car sinon je finirai probablement enfermé dans une chambre capitonnée. Ce qui serait au fond très injuste. Pas seulement parce que cela ne résoudrait rien mais parce qu’il me semble qu’il vaut mieux douter de soi de temps à autre, voire un peu plus souvent. C’est plus sain que de prétendre que l’on a raison sur tout ainsi que n’hésite pas à l’affirmer contre toute évidence et à tout bout de champ, l’homme décrit comme le plus puissant du monde. Lequel aurait sa place dans une institution spécialisée. Au moins autant que l’incorrigible distrait qui vous écrit. Et qui vous aime. Pas à la folie quand même.

Written by
Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.