Ces derniers jours, j’ai parlé avec des partisans des deux camps. L’un faisait partie des « Pour », l’autre des « Contre ». Comme ce sont deux amis très chers j’ai écouté leurs arguments avec une égale ouverture d’esprit. Et étant donné qu’ils m’ont exposé individuellement leur point de vue, j’ai essayé de transmettre à chacun les arguments de la partie adverse. Pour un peu, j’aurais pu me prendre pour un chef d’État dans les couloirs de l’ONU. L’enjeu était certes un brin moins crucial que ce qui a été discuté cette semaine à New York mais il s’agit quand même d’un sujet qui concerne une grande partie de l’humanité. C’est-à-dire tous les gens qui portent des lunettes par intermittence. Et qui par conséquent finissent inévitablement par les égarer. Non sans s’en plaindre. À moins qu’ils ne fassent partie du clan des adeptes du cordon. Lesquels ne peuvent s’empêcher de porter sur les étourdis un regard mêlant condescendance et affliction. Ce à quoi les anti-cordon répliquent sur le terrain de l’élégance, prétendant que ce fil infâme constitue le premier signe infaillible de la déchéance de l’âge, de la démission personnelle voire du début de la sénilité. Et croyez-moi, les points de vue sont absolument irréconciliables. D’aucuns se demanderont à la lecture de ces lignes, de quel côté se situe l’auteur. Plutôt vers les sans-fil et pour de bonnes raisons. Car jeune presbyte, il y a déjà bien longtemps, j’ai réussi l’exploit de perdre les lunettes et le cordon. Aujourd’hui, je limite les dégâts grâce à une astuce certes un peu onéreuse mais assez satisfaisante en pratique. Le principe consiste à avoir autant de paires que de lieux où je suis susceptible de m’en servir. Ainsi puis-je m’abstraire de la controverse. Au moins en partie car je suis évidemment parfaitement capable de ne pas respecter mes propres règles et par conséquent de déplacer les paires là où je n’en ai pas besoin. L’affaire est donc complexe et probablement aussi vieille que l’invention des bésicles. La preuve, je suis tombé sur un article du supplément style d’un quotidien de référence selon lequel « la chaînette, portée comme un collier fonctionnel au chic vintage assumé, opère un retour en force ». Face à cette situation inextricable, j’ai pris une bonne résolution, comme on dit aux Nations Unies. Celle de laisser tomber. Pas les lunettes, les discussions. Impossible d’imposer la paix entre des gens qui ne le veulent pas. Mais c’est encore une question de point de vue.

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Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.