Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Frondaison frondeuse

Est-il une sensation plus satisfaisante que celle de savoir que son travail de la veille est parti à la poubelle ? Je ne crois pas et pourtant je ne suis pas fou. Enfin peut-être que si, mais pas comme cette phrase pourrait le laisser croire. Car l’objectif de cette tâche est précisément de nourrir la benne à ordure de kilos de feuilles mortes préalablement ratissées avec un soin parfois proche de la maniaquerie. Une activité à laquelle je me livre tous les lundis d’automne afin d’être prêt pour le passage du camion le lendemain matin aux aurores. Associer le mot « bonheur » à ce moment serait sans doute exagéré, mais il est vrai qu’il s’agit d’un exercice bien plus plaisant qu’il n’y paraît au premier abord. Au fil des semaines le résultat est de plus en plus probant et autant les débuts font de moi un Sisyphe du râteau, autant le ramassage d’hier avait quelque chose de particulièrement plaisant. Les arbres du jardin et de son entour sont désormais nus ou presque. Ils se déshabillent chacun à leur rythme, selon leurs essences, au fil des aléas météorologiques laissant entrevoir la fin de ce répétitif chantier. Tous, sauf un. Un rejet d’érable sauvage en apparence chétif, mais dont la ramification est bien plus importante que son maigre tronc le laisse supposer. Un insoumis surtout dont j’ai chaque automne l’impression qu’il attend que la frondaison de tous les autres soit tombée pour accepter de lâcher son feuillage. Comme il est planté – ou plutôt qu’il a poussé sans que personne ne lui demande — juste devant l’entrée de la maison, il est impossible d’ignorer le tapis jaune et humide qu’il a enfin consenti à lâcher ces derniers jours. Voilà pourquoi je lui ai consacré mon après-midi, remplissant containers et sacs de ses rejets qu’il s’évertue à répandre dans les endroits les plus inaccessibles. Oh, je sais bien qu’il ne fait pas exprès, je vous le redis je ne suis pas dingue, mais je ne peux m’empêcher de lui prêter un caractère. Pas de cochon bien sûr, mais bien affirmé. De ceux qui ne s’en laissent pas conter et refusent de marcher au rythme des autres. D’aucuns pourraient me suggérer de le couper pour en finir avec sa singularité dérangeante. J’y ai songé mais son tronc naît juste derrière la clôture qui nous sépare du terrain voisin, dont je fais remarquer au passage qu’il a plutôt tendance à l’épargner. Et puis je dois reconnaître que le temps passant, son attitude de frondeur solitaire a fini par me séduire, même si ses feuilles me font un peu mal au dos. Mais pas au point de les traiter de sales petites connes.