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Economie de cœur

Je me suis fait piéger. Comme un bleu. Ou un rose. Enfin peu importe la couleur, le fait est que je suis tombé dans le panneau publicitaire de cette annonce qui proclamait « : Donnez votre argent à Bernard Arnault ». Le vieux spécialiste de la pub aurait dû avoir un réflexe, une petite alerte mentale qui lui suggère qu’il y avait une subtilité. Mais non, mon sang n’a fait qu’un tour tandis que mon humeur y est montée, dans les tours. Pour ma défense, je n’ai pas vu l’affiche in situ, c’est-à-dire dans la rue, mais en photo dans une publication spécialisée. Si j’avais pris deux minutes, comme je l’ai fait ce matin, j’aurais compris qu’il s’agissait d’une habile provocation d’une plateforme solidaire du nom de Dift pour le lancement d’une campagne de dons. Le Bernard Arnault en question est le fondateur d’une association de défense de la biodiversité baptisée États Sauvages. Rien à voir avec le prince du luxe, allergique à l’impôt. Ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’avoir des accès de générosité comme lorsqu’il donna l’an dernier dix millions d’euros aux Restos du Cœur. Avec un peu de chance, cette campagne le touchera au portefeuille et il en distraira quelque menue monnaie pour son homonyme. Ce serait la preuve que l’on peut être un apôtre des lois du marché tout en croyant aux vertus de la redistribution de la richesse. Ayant la chance de ne pas avoir à résoudre d’aussi terribles cas de conscience, je me contente de ceux que me vaut mon propre marché. Celui que je fréquente tous les week-ends pour y acheter crustacés, fruits, légumes et fromages. Un lieu où le plaisir est moins dans la négociation que dans les échanges avec les commerçants. Parmi ceux-ci, Christophe le fromager n’est pas le moins truculent. Toujours de bonne humeur, la vanne au bout des lèvres, il est l’une des figures de cette assemblée. Aussi fus-je désagréablement surpris en constatant son absence ce week-end. Renseignement pris auprès de son voisin des fruits et légumes, une méchante infection l’a mis sur le flanc mais il est en voie de guérison. Ainsi rasséréné, je ne m’en mets pas moins en quête d’un autre fournisseur de fourmes, tomes et autres bleus. Et c’est ainsi que je découvre un commerce tenu par une jeune femme dont l’achalandage est tout aussi riche et apetissant que celui de son concurrent. À des prix beaucoup plus raisonnables. D’où mon dilemme. Que faire lorsque Christophe reprendra sa place. Faire jouer les lois du marché ou celle du cœur ? Combiner les deux ? Et si oui comment aller chez l’une sans vexer l’autre ? Ah comme j’aimerais parfois être un tycoon sans foi ni scrupules. Mais avec du fromage.