Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Division cellulaire

C’est une jeune femme souriante. Elle a les cheveux châtains, mi-longs, porte des lunettes fines, des boucles d’oreilles pendantes, une veste d’un rouge éclatant sur un chemisier d’un blanc immaculé. Et elle était dans ma boîte aux lettres. Sous la forme d’un tract naturellement, qu’alliez-vous imaginer ? Mais non, je sais que vous l’aviez compris : cette ambitieuse personne a pour objectif de diriger notre petite ville à partir de l’année prochaine. Oh, elle n’est pas la première à se lancer dans la course. Loin de là. Car la particularité de la vie politique locale est qu’aucune majorité municipale n’a tenu plus de quelques semaines, au mieux quelques mois avant de se disloquer. Ce phénomène est apparu au tournant du siècle. Auparavant, la ville avait été dirigée pendant une trentaine d’années par un sénateur conservateur qui avait succédé à un notable du même acabit. Une époque où il suffisait pour se faire élire et réélire, de garantir que rien ne changeait et surtout pas le paysage enchanteur, fait de pelouses, de rivières et de lacs. Mais le dauphin de ce baron, arrivé aux commandes trop âgé, lâcha les commandes après deux mandats et depuis la direction de notre communauté est soumise à un mouvement de division cellulaire sans fin. À peine élue, la majorité municipale se fractionne. Certains édiles n’ont tenu qu’un an, d’autres un peu plus. Celui qui est actuellement en place est là depuis son élection mais la plupart de ses adjoints, dont la jeune femme précitée, se présentent contre lui. J’avoue regarder cette agitation avec un grand détachement non dénué d’une certaine affliction. J’ai d’ailleurs complètement oublié pour qui j’avais voté en 2020 et je n’ai absolument aucune idée de mon choix pour l’an prochain. Mais en voyant cette adjointe se lancer dans la course, je me suis dit qu’il allait lui falloir de l’endurance et un discours un peu plus consistant pour tenir jusqu’en mars prochain. Un peu comme cette petite fille de 9 ans dont j’ai appris ce matin qu’elle avait eu son bac cette année. J’ai plus envie de la plaindre que de la féliciter. Après une enfance gâchée elle risque de s’ennuyer sérieusement dans un monde de vieux. Mais c’est un senior qui a eu son bac à 19 ans qui le dit. Pourvu que cette gamine profite de son temps libre. Un peu comme moi qui vous annonce mon absence la semaine prochaine pour cause de rallonge de vacances. On se retrouve le 15 septembre. En toute confiance et sans blocage.