Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn. Tout va bien, je ne me suis pas endormi sur mon clavier. Il s’agit simplement, les connaisseurs l’auront instantanément reconnue, d’une incantation à Cthulhu, le dieu méchant inventé par HP Lovecraft, le romancier qui a en quelque sorte inventé les récits d’horreur modernes. Il se trouve que je viens de lire une adaptation de « L’ombre sur Innsmouth », l’une de ses nouvelles, illustrée par un dessinateur français nommé François Baranger. Un bouquin acheté en ligne sur un coup de tête, après avoir été exposé à une publicité habilement insérée dans le fil d’un réseau social. J’ai d’autant plus facilement cédé à l’impulsion que le souvenir de ces nouvelles horrifiques est gravé dans ma mémoire depuis l’adolescence. La qualité des illustrations aperçues dans cette pub, m’avait convaincu de céder à cet achat. Au pire me rassurai-je, j’aurais un beau livre d’images horribles, redoutant que les textes, écrasés sous les avalanches d’adjectifs, soient encore plus pénibles à lire qu’ils ne l’étaient lorsque je les avais découverts. Or, peut-être parce qu’il s’agit d’une œuvre tardive et donc plus achevée, la lecture fut finalement assez plaisante. L’expérience est d’autant plus intéressante que la caractéristique de Lovecraft est d’être incapable de décrire les monstruosités qu’il met en scène tant elles sont inhumaines et par conséquent inconcevables. Ce qui n’aide naturellement pas l’illustrateur, lequel ne s’en tire pas mal en évitant d’en faire trop, le véritable danger quand on verse dans le fantastique. Ce que j’ai pu vérifier aussitôt ma lecture terminée en allumant la télévision pour tomber sur la dernière adaptation de Nosferatu. Encore une vieille connaissance. Faute de streaming, de DVD ou même de cassette vidéo, c’est à la cinémathèque qui était alors dans les entrailles du Palais de Chaillot que j’avais pu voir pour la première fois ce chef-d’œuvre de FW Murnau. Une beauté muette que j’ai redécouverte restaurée il y a peu. J’avais aussi aimé l’adaptation pourtant assez académique de Werner Herzog avec un Klaus Kinsky blafard au sommet de son art. Chaque version est à l’image de son époque et celle de Robert Eggers est l’archétype d’un cinéma dopé à l’image de synthèse jusqu’à l’overdose. Tout, des décors au jeu des acteurs en passant par la musique, est lourd et superflu. J’ai tenu un quart d’heure avant de zapper par hasard – et non par snobisme – sur une chaîne d’info américaine. Après quelques minutes, je me suis dit que ces vieux vampires et autres divinités maléfiques n’étaient pas si terribles. Au moins, on n’est pas obligé d’y croire.

Written by
Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.