20 mai 2025
J’y ai cru. Un peu plus d’un instant, j’ai pensé qu’on y était enfin. Quinze jours après la fumée blanche, il serait temps. Et puis non, toujours rien. Pas le moindre signe de l’apparition de petits cygnets. Leurs parents se sont pourtant installés depuis des semaines sur la rive du cours d’eau artificiel que j’aperçois depuis ma table de travail. Souvenez-vous, je vous en ai entretenu la veille du week-end de Pâques, c’est dire. Depuis, la situation n’a guère évolué significativement. Monsieur continue à patrouiller tandis que madame reste sagement sur la rive inaccessible aux humains et à leurs chiens. Ces dernières nuits pourtant, une certaine agitation se faisait entendre. Ça caquetait suffisamment pour troubler mon sommeil. Des canards s’étaient joints à la famille, sans que je sache quel était leur rôle. Aussi m’attendais-je à voir quelques nouveau-nés s’égayer sur les eaux fraîches du petit matin. Oui car pour tromper l’attente, j’ai approfondi mes connaissances en cygnification. Ainsi les jeunes cygnes, que l’on peut également appeler cygneaux, sont nidifuges. Autrement dit ils quittent le logement familial aussi vite que possible, sans attendre l’adolescence comme d’autres espèces. D’après mes sources, la durée d’incubation est comprise entre 30 et 45 jours, délai qui me semble avoir été dépassé. Peut-être ces oiseaux sont-ils pudiques et que la curiosité des passants pousse les petits à rester dans leurs œufs. À moins que ce ne soit le fracas d’un chantier proche qui les inquiète. Toujours est-il que nous en sommes là, attendant une délivrance comme d’autres un cessez-le-feu. Mais devant ce blocage, je me sens tout à fait aussi impuissant qu’un dirigeant européen face à des géants psychotiques qui se félicitent de s’être parlé pendant trois heures sans résoudre quoi que ce soit. Avant mon inspection animale matinale, j’ai entendu un ancien ministre des Affaires étrangères tonner sur l’impuissance de Paris, Berlin ou Bruxelles à s’immiscer dans les affaires du monde. C’était beau, c’était convaincant à l’image de ce fougueux personnage à la crinière grise merveilleusement portraituré dans la BD Quai d’Orsay. Et tout à fait aussi inutile que mes encouragements à l’intention des grands oiseaux blancs. Je ne sais pas quand ces œufs écloront, mais s’ils attendent que le monde soit en paix, ça risque de durer. Indéfiniment.