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Fable d’ESOD

15 mai 2025

J’ai longtemps été un ours. Et pour être tout à fait honnête, je le suis encore un peu. Non, je n’essaye pas de défendre par quelques douteux détours un géant du cinéma français dont le comportement avec les femmes peut rappeler celui d’un plantigrade. Quoique je ne sois pas très au fait de la vie sexuelle de cette espèce. Ce que j’essaye d’exprimer par le détour de cette métaphore animalière est mon attitude sociale dans la petite ville où j’habite depuis plus de la moitié de ma vie. Jeune père, j’évitais autant que possible de frayer avec mes égales et égaux lorsque nous attendions notre progéniture à la sortie de l’école maternelle. Pour être exact, cela ne m’arrivait pas si souvent, cette tâche étant dévolue à une jeune fille, puis à un jeune homme que nous employions alors. Mais quand c’était le cas, je me réfugiais dans la lecture de quelque journal, faute de pouvoir jouer avec un smartphone qui n’avait pas encore été inventé. La raison de cette distance s’appuyait sur la conviction que ce n’était pas parce que nos enfants étaient élevés et instruits ensemble que je devais socialiser avec les parents. J’étais jeune et boudeur – pour ne pas dire autre chose — et me sentais surtout en décalage total avec le milieu socio professionnel de cette banlieue riche. Le temps a passé, je me suis habitué à cet environnement fort agréable mais, accaparé par une vie professionnelle envahissante, je n’ai pas eu l’occasion d’approfondir mes relations avec la population locale. Jusqu’à ce que je passe du stade de suractif à celui de chroniqueur de ma propre vie et éditorialiste dominical. Une activité qui, même ajoutée à celle d’entretenir mon jardin et de rénover ma maison, me laisse beaucoup de liberté. Dont celle de discuter avec mon voisinage. J’en ai pris conscience hier, en allant au restaurant que je fréquente plus ou moins hebdomadairement. En chemin, j’ai parlé avec deux personnes. Puis j’ai été reçu chaleureusement par le patron et le personnel de l’établissement où j’ai encore salué quelques clients. En rentrant sous le soleil, je me suis dit que d’ours, j’étais peut-être passé à rat-taupe dont j’ai découvert qu’il s’agissait d’une espèce particulièrement sociale et non pas nuisible. La chroniqueuse scientifique de ma radio d’info matinale m’a d’ailleurs appris que l’on ne devait plus employer cette expression infamante à l’égard d’animaux qui n’y peuvent rien. Il faut désormais, pour se conformer à l’esprit du temps, parler d’« espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ». Ou ESOD si l’on est pressé. Mais je ne le suis plus. Pressé, pas nuisible.