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Long sommeil

15 avril 2025

Il y a longtemps, si longtemps que je préfère ne pas compter les années, j’ai passé quelques mois dans la bonne ville de Washington DC. J’avais passé mon bac l’année précédente et fait semblant de commencer des études d’économie. Étant assez mauvais comédien, d’autant moins motivé que pour la première fois depuis le début de mes études, je pouvais sécher les cours sans aucune conséquence disciplinaire, il avait été décidé de m’envoyer perfectionner mon anglais chez des amis de la famille habitant dans la proche banlieue de la capitale fédérale. Je découvrais donc l’Amérique par son cœur. Lequel ne ressemblait pas vraiment à ce que j’avais imaginé. Pas de gratte-ciel mais une ville organisée autour d’immenses espaces verts au bord desquels se dressent de non moins grands bâtiments administratifs, culturels et autres monuments commémoratifs. Tous les matins, je me rendais à l’école en traversant les vertes allées de la ville dans laquelle habitaient mes hôtes. Et tous les matins, je croisais un vieil homme à la barbe blanche, coiffé d’une casquette et s’aidant d’une canne. Il me faisait penser à Rip Van Winkle, un personnage mythique de la révolution américaine. Plongé dans un long sommeil par quelque philtre magique, il rate la guerre d’indépendance et se réveille dans une société qu’il ne reconnaît plus. Je ne sais pas pourquoi je connais cette histoire mais toujours est-il que mon vieux bonhomme m’y faisait penser lorsqu’à chacune de nos rencontres il me lançait un « Good Morning young man ! » aussi sonore qu’enjoué. Un salut qui m’est revenu en tête ce matin en sortant de chez moi en catastrophe, tirant le bac à déchets végétaux que j’avais oublié de sortir la veille. Habillé à la hâte, j’ai ainsi traversé la pelouse qui sépare mon jardin de la rue. Et c’est à cet instant que j’ai croisé une jeune femme promenant son chien qui m’a fait un grand sourire et salué d’un agréable bonjour auquel j’ai bien sûr répondu aussi souriant que possible. J’avais dormi moins longtemps que le personnage du conte américain, ma barbe n’est ni aussi longue ni aussi blanche que la sienne mais je devais quand même avoir l’air d’être tombé du lit avec mes yeux à peine ouvert et mon jogging de nuit difforme. Une tenue et une mise tellement lamentable qu’elle devait sans doute être assez cocasse. Ravalant ma fierté, je suis rentré chez moi. J’ai alors brièvement envisagé de me recoucher. Mais n’ayant aucune chance de me réveiller après la contre-révolution américaine, je me suis résolu à affronter la réalité. Au moins ma journée a-t-elle commencé par un sourire.