14 avril 2025
Elle me faisait de l’œil depuis des semaines alors j’ai craqué. Elle était belle, élégante, pas toute jeune mais tellement craquante. Je l’ai prise sans ménagement et je l’ai emmené chez moi. Note de l’auteur : il ne s’agit pas d’un extrait de l’interrogatoire de (remplir le nom) lors d’une garde à vue dans les locaux de la police judiciaire. Celle qui me narguait depuis un bout de temps, était dans la vitrine de « la petite boutique ». Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans presque toutes les villes de France, il y a une de ces échoppes souvent sans grâce dans laquelle s’accumule un joli fatras d’objets de toutes natures, vieux jouets, enseignes, poupées et autres cendriers publicitaires. Des brocantes permanentes qui ont sur moi un pouvoir magnétique. Celle dont je vous parle se trouvant sur le chemin de la place du marché, inutile de vous dire que pas un changement dans l’achalandage ne m’échappe. Exactement comme lorsque j’étais enfant et que j’habitais à deux pas d’un fameux marchand de jouets parisien. Il a beau s’être écoulé plus de six décennies depuis cette époque avec la dégradation physique et mentale y afférant, de ce point de vue, rien n’a changé. La preuve est que l’objet de ma concupiscence était une jolie maquette de goélette. Je ne passais jamais devant ce commerce sans vérifier sa présence. Avec la même régularité, ma femme qui me connaît vraiment très bien, me faisait remarquer que la maison était déjà pleine et qu’il n’y avait nul endroit où installer ce voilier. J’agréais sans discuter, vaincu par cet argument non sans maugréer intérieurement. Mais voilà que samedi, passant au large de l’attirant commerce, j’avise un nouveau navire. Et quel esquif ! Un sloop élancé à l’élégance intemporelle des coursiers de la Coupe de l’America. Un chef-d’œuvre de la quille au sommet du mât avec certes des voiles un peu usées, mais c’est un détail. Ce qui n’en n’est pas un, c’est sa taille : un bon mètre de la poupe à la proue. Ce qui ne m’empêche pas de l’envelopper d’un regard énamouré. Jusqu’à ce que mon épouse, soulignant son encombrement, convient que la vingtaine de centimètres du quatre-mâts est beaucoup plus raisonnable. Elle n’avait pas terminé sa phrase que j’étais déjà dans la boutique pour m’enquérir du prix. Lequel étant tout à fait raisonnable, j’ai pu fièrement traverser ma petite cité, mon bateau sous le bras, un sourire infantile aux lèvres. J’aurais bien baptisé ce navire « Art du deal » si l’expression n’avait été galvaudée par un crétin qui n’y connaît rien. Tant pis, il restera anonyme mais je lui ai trouvé une place. Dans la maison. Dans mon cœur, il en reste une pour le grand yacht…