4 février 2025
Lorsque j’étais étudiant en droit il y avait une expression dans le Code civil qui me sortait de ma torpeur. C’était le fait de se comporter « en bon père de famille ». Elle m’évoquait les gravures de Gustave Doré avec leurs bourgeois rondouillards et repus. J’ai appris que cette formule avait été supprimée des textes il y a une bonne dizaine d’années. Mais elle m’est revenue à l’esprit en lisant le journal ce matin. Fus-je un bon père de famille ? Impossible de répondre sans forfanterie ni fausse humilité. Il me semble que mes enfants sont heureux et aucun d’entre eux n’est flic, militaire ou curé, ce qui aurait été pour moi la marque de l’échec. Et puis je ne suis évidemment pas seul responsable de cette noble et vaste entreprise consistant à élever sa descendance pour la rendre aussi heureuse qu’utile à la société. Nous étions deux et je suis loin d’avoir été le plus important. Sauf sur un point, l’auto. Vous le savez, ces machines occupent une place importante dans ma vie. Cela se voit autant par mes lectures que dans la décoration de mon bureau. Et pourtant, en dépit de cet environnement, aucun de mes deux enfants n’a hérité de cet engouement. Ni l’un ni l’autre ne possède de véhicule et l’un des deux n’a même pas son permis de conduire. D’où cette interrogation aussi légitime qu’inquiète : aurais-je raté quelque chose ? Failli à mon devoir ? Eh bien depuis ce matin, j’ai l’honneur et l’avantage de vous annoncer qu’il n’en n’est rien. Le fier paternel qui vous écrit peut affirmer qu’en tentant d’imposer insidieusement sa passion nocive il a habilement détourné sa descendance d’une addiction destructrice. En apprenant qu’à compter du 3 mars, une voie serait réservée au covoiturage sur le périphérique parisien sous peine de lourde amende, j’ai en effet compris — enfin – que j’avais conduit ma progéniture dans le droit chemin du respect de la vie, de la planète et de l’humanité tout entière. Ainsi en allant chez ma fille, égoïstement seul dans ma berline, je m’abstiendrai d’emprunter cette belle voie libre sur laquelle je roulerai fièrement au retour et au volant d’un véhicule civiquement occupé par quatre personnes. Dont mon petit-fils. Car je suis un bon grand-père. De famille.