25 novembre 2024
Le premier livre d’adultes que j’ai acheté était un polar. J’étais à la montagne en colonie de vacances de ski. Je détestais les colonies de vacances, le ski et la montagne. Je devais avoir une dizaine d’années et j’avais réussi à convaincre une monitrice – évidemment — de m’emmener au village, lequel était à l’opposé de l’idée qu’on se fait d’une station de ski. Il y avait peut-être quatre ou cinq commerces dont un tabac-journaux-librairie dans lequel, au détour d’un tourniquet je tombais sur l’édition de poche de Brouillard au Pont de Tolbiac de Léo Mallet. Sur la couverture, le pont était celui de Bercy émergeant de la brume. Mais peu importe, cette image et ce titre étaient une bouée de sauvetage. C’était mon quartier, c’était mon Paris, j’ai acheté le bouquin. En réalité, j’ai eu du mal à le lire, ce n’était pas vraiment de mon âge, et ce n’est que quelques années plus tard que j’en ai apprécié la saveur. Je n’irai pas jusqu’à dire comme Bernard Blier dans Buffet Froid que la campagne m’emmerde, j’y habite ou presque, mais il est vrai que les grandes villes m’inspirent plus que les sous-bois. En la traversant en VTC la semaine dernière, j’ai pu ainsi profiter de la vue panoramique que m’offrait ce mode de transport pour divaguer vaguement. Les enseignes sont les meilleurs marqueurs de ce temps. Dans les beaux quartiers, celles que j’ai connues ont le plus souvent été remplacées par des boutiques de luxe au logo ostentatoire. Mais il en est qui ont résisté au temps, pas forcément les plus prestigieuses. Un magasin de vêtements pour hommes devant lequel j’attendais le bus à plateforme, un marchand de jouets qui me faisait rêver, la librairie d’une maison d’édition pour laquelle il me semble que mon père travaillait. Si j’avais un millième du talent de Patrick Modiano – dont vous comprenez qu’il est l’un des auteurs les plus chers à mon cœur – je vous raconterais les fantômes de ma jeunesse qui flottent encore dans ces rues. Mais je ne suis pas un romancier, juste un type qui se dit que le temps passe, que la ville a changé pour devenir celle qu’aime tant Emily. J’ai cru comprendre qu’elle y reviendrait après une saison à Rome. Grand bien lui fasse. Je ne l’ai jamais vue, je lui laisse ce Paris qui n’est plus tout à fait le mien et dans lequel je n’habite plus. Sans regret mais avec de beaux souvenirs.