Arrêtez-moi si je vous ai déjà raconté cette histoire (merci de ne pas prendre cette phrase au pied de la lettre). Il y a bien longtemps, alors que j’étais membre de la rédaction d’un newsmagazine disparu depuis, je partageais mon bureau avec un garçon sympathique qui était chroniqueur littéraire et musical. Un jour aux alentours de midi, l’hôtesse de l’entrée l’appelle pour le prévenir de l’arrivée de son rendez-vous. Mon cothurne s’étant absenté, j’accueille son invité. Lequel s’avère être Jean Echenoz dont j’ai lu toute l’œuvre ou presque et dont j’admire le style plus que tout autre. Et nous voilà seuls pendant quelques minutes dans le petit bureau. Aurais-je voulu exprimer quelque chose que ma gorge était bloquée et mon cerveau en mode sauvegarde. La panne totale. L’auteur étant lui-même un homme réservé nous en sommes restés là de nos échanges jusqu’à ce que mon voisin l’emmène déjeuner, un effort surhumain m’ayant quand même permis de lancer un « Bon appétit » enroué. Pour la première – et seule à ce jour — fois de ma vie où je rencontrais un romancier, je m’étais couvert de gloire. Si je vous narre cet épisode, c’est parce que j’ai lui ce week-end le livre d’un auteur qui ne fait pas partie de mon panthéon mais dont j’aime assez l’œuvre. Primé du Goncourt l’année dernière, il vient de publier un bouquin qui n’est pas un roman mais raconte la courte vie d’un maquisard de la Drôme dont il a découvert le nom sur un mur de la maison qu’il vient d’acheter. Une quête plutôt qu’une enquête qui permet à l’auteur de croiser la vie de son personnage avec la sienne et d’y affirmer ses convictions démocratiques. Si ce n’est que, détaillant les circonstances de la mort du maquisard, l’auteur précise que les chars Tiger impliqués dans le combat ont été « fabriqués par Porsche ». Ce qui est factuellement faux puisque cet engin de mort a bien été conçu par Ferdinand Porsche, qui fut par ailleurs ministre de Hitler, mais non construit dans ses usines. Un détail sans doute, mais qui met en lumière la force y compris négative, que peut avoir une marque. Phénomène que l’on observe également avec Rolex de manière beaucoup plus pacifique. J’aurais aimé pouvoir en discuter avec Hervé Le Tellier, si je l’avais rencontré. Et si mon cerveau avait accepté de fonctionner en sa présence.
Le nom sur le mur – Hervé Le Tellier – Gallimard