J’ai vu un chat. Vous vous en fichez ? Je comprends. Mais si je vous interpelle ainsi, c’est que j’ai appris qu’une nouvelle tendance sur TikTok – j’écris « une » parce qu’il me semble qu’il y en a beaucoup – est de surprendre son conjoint en lui déclarant : « J’ai vu un oiseau ». La nature de sa réaction, intéressée, passionnée, indifférente voire désagréable, permettrait de mesurer la qualité de la relation sentimentale et ainsi, d’estimer les chances de vie, ou de survie du couple concerné. La journaliste qui révélait cette information à la radio ce matin, avait interrogé une psychologue qui manifestait son scepticisme quant à la validité de cette pratique. Je comprends et approuve, aussi ne vous tiendrai-je pas rigueur de votre éventuel désintérêt pour ma remarque introductive. D’autant que le chat en question n’est pas instagrammable ni très tik-tokien. Il n’est pas GPT non plus. Il s’installe dans un recoin d’une haie de bambous qui sépare mon jardin de celui des voisins. Ainsi à l’abri, il se roule en boule et dort. C’est qu’il n’est pas tout jeune. La voisine à qui il appartient nous a expliqué que son exil était la conséquence de l’arrivée d’un nouveau félin. Un jeune, plein d’énergie et de santé que j’aperçois parfois, tentant de chasser des oiseaux, grimpant aux arbres pour traquer des écureuils qui s’en moquent. Loulou, le vieux matou, il s’en fout. Lui qui passait des heures devant un parterre de lierres à guetter un éventuel mulot, lui qui croyant l’avoir enfin débusqué s’était blessé ses pattes délicates sur les piquants d’un hérisson, ne veut plus qu’une chose : qu’on lui fiche la paix. Il est loin le temps où il s’aventurait dans un autre jardin avoisinant sur lequel régnait encore en maître un immense chien. La maîtresse de Loulou l’appelait alors en scandant son nom sans fin, à la manière d’un youyou inquiet. Mais ça, c’était avant. Puisque la jeunesse s’est imposée chez lui, il veut vivre sa vieillesse à l’abri des bambous et les souris peuvent bien danser à ses côtés, ce n’est pas ça qui va le réveiller. Dans ces conditions, nous lui accordons bien volontiers l’asile d’autant qu’avec son embonpoint, son âge et son bilan de santé, il n’aurait aucune chance d’émigrer aux États-Unis, ce pays si accueillant qu’il s’inquiète de la santé de ses visiteurs avant de leur accorder le droit d’entrer. Cela me rappelle Fievel et le Nouveau Monde, ce film de Spielberg qui racontait l’odyssée de la famille Souriskewitz vers l’Amérique pour fuir les pogroms organisés par des chats dans la Russie du XIXe siècle. Une jolie parabole. Aussi obsolète qu’un vieux minet sommeillant en attendant la fin.

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Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.