Hier, je suis allé à Beaugrenelle. Vous connaissez ? Non ? Aucune importance, ce lieu n’a rien de remarquable. À se demander pourquoi ce texte s’ouvre sur une information aussi banale à propos d’un centre commercial comme il en existe des dizaines en France. D’autant que cette visite avait pour raison un achat tout aussi inintéressant. Oui mais voilà, il se trouve que ce temple de consommation a été construit à l’époque où je faisais mes études juste à côté dans une école privée. Un établissement qui a la particularité unique me semble-t-il d’être installé dans d’anciennes boutiques. Les salles de classe donnent donc sur la rue avec leurs vitrines cachées par des rideaux. Ce qui ne m’empêchait pas de voir le chantier voisin tout en écoutant distraitement mes professeurs. La galerie a depuis été complètement reconstruite mais les façades bordeaux de ces drôles de boutiques du savoir sont toujours dans l’une des rues adjacentes et je ne les retrouve jamais sans un petit pincement. Pas de nostalgie, d’émotion. Car ce lycée privé – comme il est précisé sur son site internet — ne fut pas seulement la bouée de sauvetage de ma scolarité en péril, mais dans une certaine mesure, le point de départ de ma vie d’adulte. Je m’y suis fait un ami à vie, j’y ai croisé ma future femme sans le savoir et j’y ai obtenu d’honorables résultats – ce qui était en soi un exploit. J’y ai aussi reçu l’enseignement de quelques personnalités exceptionnelles. Parmi celles-ci, un prof d’histoire-géo qui nous avait fait prendre conscience de la fragilité de la démocratie en soulignant la nécessité impérieuse d’y prendre garde. En prenant l’Italie et l’Allemagne de l’entre-deux-guerres pour objet de démonstration, il nous avait montré comment les garde-fous institutionnels ne pouvaient résister face à un dirigeant qui ne respecte délibérément pas les règles. Les fondations constitutionnelles ne sont alors pas plus solides que les cartes d’un château qui s’effondre. Je n’aime ni ne crois aux raccourcis historiques trop faciles mais en revoyant cet endroit fondamental de ma propre petite histoire, je n’ai pu m’empêcher de repenser à ce prof dont je ne sais s’il est encore de ce monde et si tel est le cas, ce qu’il pense de la manière dont celui-ci évolue. Mais je me doute de la réponse.

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Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.