Je l’ai connu au détour de ma carrière. Son nom ? Vous me permettrez de le garder pour moi, je ne sais ce qu’il est devenu. Sa fonction ? J’ai oublié son titre précis, peut-être rédacteur en chef adjoint ou simplement secrétaire de rédaction mais c’était l’un de ces types qui savent tout faire dans un journal. Un profil de plus en plus rare comme on dit sur LinkedIn, capable d’écrire ou réécrire un papier, de monter une page ou d’appeler l’imprimeur en cas de problème. Mais surtout, c’était une gueule. Assez beau gosse marqué par la vie. Une tronche à jouer dans un polar français des années 70. Sympa, buvant sec, racontant des histoires de presse, de femmes et de jeu. Car il était joueur de gros. Au point m’avait-il confié, qu’il s’était fait interdire dans les casinos et salles de jeu histoire de sauver son budget et son mariage. Mais le démon était tel qu’il contournait cette sage décision en allant jouer en Belgique. La description de ses voyages nocturne, une fois le turbin terminé mériterait un vrai romancier pour être à la hauteur de l’ambiance de ces établissements du rivage de la mer du Nord. Glauque. Mais pas autant que le train du retour au petit matin. Chacun y rumine ses pertes, formule des promesses qui ne seront pas tenues tout en regardant le jour se lever avant de débarquer Gare du Nord aux premières heures, déprimé et chiffonné sans même parfois de quoi se payer un café. À ce stade de l’histoire, le lecteur attentif – et je sais que vous l’êtes – se demande comment l’auteur va réussir à enchaîner métaphoriquement sur la situation politique. Eh bien, je ne le ferai pas et je vous laisse imaginer les liens qu’il peut y avoir entre des perdants compulsifs et des gouvernants perdus. Car ce n’est pas de cela dont je veux vous entretenir mais de la possibilité de se faire interdire par une quelconque autorité d’exercer une activité néfaste à soi-même autant qu’à son entourage et son environnement. En ce qui me concerne, il s’agit du bricolage. Je devrais pouvoir aller pointer au commissariat à chaque fois qu’il me prend l’envie de saisir une pince ou un marteau. Car ma nullité congénitale m’entraîne vers des abysses de bêtise comme hier, lorsque j’ai coupé le câble de la fibre optique reliant mon domicile au reste du monde. Vous dire ma colère intérieure est inutile et de toute façon impossible, les règles de la bienséance du réseau sur lequel ce texte est publié imposeraient une censure bienvenue. Je me suis un peu calmé depuis et un technicien doit venir d’un moment à l’autre – ou après – pour rétablir la connexion. En attendant, je me promets de ne plus jamais toucher à un outil. Avec la même fermeté que celle d’un joueur à l’aube.

Written by
Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.