Vous connaissez le sisu ? C’est une expression finnoise intraduisible littéralement qui décrit un état d’esprit fait de courage et de persévérance. Je cite Wikipédia mais je connais ce mot depuis longtemps car les pilotes de rallye finlandais l’employaient pour expliquer leur domination sur cette discipline dans les années 80, 90. Ces types étaient en effet étonnants de détermination. Quand ils gagnaient, ils souriaient à peine. Quand ils perdaient, ils ne cillaient pas beaucoup plus. J’étais et je suis toujours fasciné par cette capacité à intérioriser ses humeurs. Car ils en avaient mais ne les montraient pas. Tout le contraire de l’émotif majeur que je suis. Je ris et pleure quinze fois par jour. Pour pas grand-chose. Et pourtant, j’ai parfois l’impression d’avoir un cœur de pierre, comme hier en apprenant la disparition d’un grand acteur américain. Inutile de préciser son nom, vous le connaissez puisqu’à l’instant de l’annonce de sa mort, son visage s’est affiché sur tous les écrans, tous les réseaux, toutes les chaînes. Est-ce ce déferlement, ou une forme de sisu à la française, je ne suis pas vraiment ému. Bien sûr j’ai aimé cet acteur, sa gueule de beau gosse à tous les âges, son jeu, ses personnages toujours formidablement incarnés : cow-boy, flic, gangster ou père de famille. Certains de ses films sont très hauts dans mon panthéon personnel (visites privées, uniquement sur rendez-vous) et ils y resteront. C’est l’avantage des stars, elles ne disparaissent jamais vraiment. Mais je crois fondamentalement que si je ne pleure pas ce départ, c’est moins en raison d’un état psychologique nordique que d’une certaine insensibilité née d’une actualité insupportable. De Kiev à Gaza, de Trump à Poutine en passant par la Chine, de massacres en famines, j’ai l’impression que ma capacité à m’émouvoir de l’actu s’est émoussée, comme tétanisée par trop de violence, trop d’inquiétude. J’en parle assez rarement ici car j’essaye pendant ces matinées d’écriture de m’abstraire, ou plutôt de m’extraire de ce monde qui m’inquiète. Ainsi, tandis que le Premier ministre sans gouvernement consulte les forces politiques, je prends le parti de la légèreté. Aucun risque que cela me vaille une invitation à Matignon mais ça vaut mieux comme ça. Il y a déjà assez d’irresponsables aux commandes.

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Frédéric Roy
Ancien directeur de la rédaction de CB News disposant de beaucoup de temps après avoir longtemps couru derrière. J'écris tous les jours pour mon plaisir et, autant que possible, pour le vôtre.